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Bande dessinée « Tata Adjatchè »

par AEROMAG

L’histoire des amazones « restaurée »

64 pages illustrées et coloriées par Kenneth Vihotogbé, le jeune prodige du dessin et de l’animation, sur un récit historique fort captivant et des dialogues écrits par Tiburce Tolidji Adagbé. C’est « Tata Adjatchè », la nouvelle bande dessinée béninoise parue aux éditions Ancrage en ce mois d’août 2024.

Sergent Markus T. Djaho

Qui est « Tata Adjatchè »?

Tata Adjatché Sukpo Manha Awinyan fut une amazone du Danxomè au destin exceptionnel. D’ethnie holli, elle est originaire du village Ekpo qui fut saccagé par l’armée de Glèlè, en représailles à l’assassinat, en ces lieux, de son père, le roi Guézo, en 1857-1858. Lors de ce massacre, Tata Adjatché n’avait que 8 ans. Elle fut épargnée et faite prisonnière par les agodjié qui la conduisirent à la cité royale d’Abomey et la soumirent à la rude formation militaire et aux entrainements intensifs des amazones.

Elevée parmi les gardiennes du palais royal, elle forgea sa carapace aux côtés d’une agodjié de rang supérieur dont elle était chargée de porter les armes lors des répétitions de combat. Ainsi l’exigeait la tradition ! Puis arriva le temps de la consécration et l’intégration officielle au corps d’élite des amazones. Le processus est marqué par une cérémonie spéciale qui comprend, entre autres, le pacte du sang ; un rituel visant à lier ces combattantes dévouées au roi et à sa cour, par le sang ; ceci pour instaurer un esprit de corps, une solidarité sans faille entre elles-mêmes et un engagement ferme et total, pouvant les conduire au sacrifice suprême, au nom du Danxomê !

Tata Adjatchè devint ainsi une véritable amazone. Une guerrière redoutable, pugnace, courageuse ! Elle fit au roi Glèlè le serment de tuer de ses mains un ennemi et de rapporter la houe de ce dernier qui serviraà bâtir un tombeau pour son feu père Guézo et à sa mère Kpoyindi. A la surprise générale, la promesse est tenue. Le roi, émerveillé, la récompense de mille présents. Admiratif et très attiré par la jeune amazone, il finit par avoir avec elle une relation amoureuse secrète, d’où naitra plus tard le princeAyidama. La sacro-sainte règle de la chasteté imposée aux amazones vient d’être violée. Adjatchè fait l’objet de pressions, de tortures et d’interrogatoires de la part de ses pairs au sujet de l’identité de l’auteur de sa grossesse. Malgré la douleur, elle reste muette jusqu’au jour où, lors de l’inauguration de son nouveau palais, le roi Glèlè reconnait publiquement la paternité de l’enfant et épouse la mère.

Adjatchè quitte le corps d’élite des agodjié. Le roi lui offre une case, de l’argent, des objets précieux et met des jeunes filles à son service. Glèlè lui dédie aussi plusieurs récades et associe sa personnalité à un objet mystique nommé « sukpo ma ha awinya », ce qui signifie en fon « les mouches ne couvrent pas un roc » ; allusion faite « aux ennemis du Danxomê » qui « ne pourront pas conquérir le royaume ». Cet objet avait été offert au roi Glèlè par son homologue Sodji d’Adjatché (Porto-Novo). Ainsi naquit la légende de Tata AdjatchèSukpoMa Ha Awinya.

Avec ce niveau de précision dans son récit, TiburceAdagbè marche sur les traces lointaines de l’illustre ethnologue et écrivain béninois Paul Hazoumè, qui rencontra Tata Adjatchèen 1917. Il fait œuvre de pédagogie, de justice historique et même de féminisme.

La BD comme puissant support pédagogique

TiburceAdagbè explique qu’il a choisi la bande dessinée pour mettre l’histoire à la portée du grand public, surtout celui des enfants, afin d’accélérer « le processus d’appropriation » du patrimoine mémoriel par les populations. Pour lui, « l’homme a dessiné avant d’écrire » ; et ce langage universel permet de transcender les frontières et les langues. A travers Tata Adjatchè, l’histoire des amazones connaitra ainsi une meilleure vulgarisation pour plus de reconnaissance de leur bravoure et de leur engagement patriotique.

Il raconte que c’est à l’occasion de l’inauguration de la statue de l’Amazone et des polémiques qui ont suivi, qu’il a été inspiré. Il estime que pour rester cohérent, il faut accompagner ce monument d’une documentation qui apporte aux visiteurs un récit précis des hauts faits d’armes qui sacralisent la mémoire des agodjiéet les placent au centre du panthéon du Danxomê.

Déconstruire les clichés et restaurer un pan de l’histoire

Raconter cette histoire permet à TiburceAdagbé d’affirmer sa « transculturalité assumée ». En effet, avec un père aboméen d’originenagotet une mère venue des Collines, il est né et a grandi lui-même au nord du Bénin. Cela est, selon lui, le reflet de la multiplicité des origines des peuples, des souverains et des amazones du royaume d’Abomey. Se fondant sur ces « interpénétrations culturelles », il souhaite briser les clichés qui font penser que les amazones étaient seulement des fon, alors qu’elles étaient aussi « mahi, nago, houéda, aïzô, kotafon, wachi… ». Tata Adjatchè en est une parfaite illustration avec son origine holli, proche des yoruba de l’Ouémé ou du Plateau.

Enfin, le propos de l’auteur est de restaurer dans la mémoire collective la place d’élites réservée jadisaux amazones dans la société dahoméenne. En tant que « Minon » (nos mères), « elles étaient supérieures aux hommes » au combat et dans la hiérarchie sociale, insiste-il.

La BD « Tata Adjatchè » sera pour les années à venir un précieux outil pour l’enseignement de l’histoire du Danxomê et un booster pour l’image et le symbole la statue de l’Amazone. Oui, la grande dame qui trône sur l’avenue de la Marina à Cotonou depuis le 30 juillet 2022, avait bien besoin d’un testament pour livrer sa dernière volonté. TiburceAdagbé et Kenneth Vihotogbé lui en ont trouvé un de très fiable.

Sergent Markus T. DJAHO

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